Paradoxes, je vous aime

Inutile de redire tous les jours que nous évoluons dans un monde de plus en plus complexe, où nous sommes régulièrement invités à résoudre des équations à multiples inconnues. La simplification est devenue la réponse en version Graal que les leaders d’entreprises érigent en passage obligé pour tous leurs collaborateurs. Il faut désormais faire simple ; il faut parler clair ; il faut aller à l’essentiel, en simplifiant, en cherchant systématiquement la réponse qui va permettre de déployer une résolution immédiate, utile et efficace.

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Patrice MATHIEU Co-Fondateur de l’agence Out of the Box

La simplicité devient un sésame cuisiné à toutes les sauces pour éviter de se perdre et de perdre tout le monde. Le simple est devenu une valeur sûre, esthétique, qui touche à l’intemporel. Elle devient un langage universel qui transcende les modes et les cultures. Elle rassure parce qu’elle parle à tous.

Mais simplifier n’a rien de simple. Simplicité n’est pas simplisme. La simplicité est même souvent la version la plus aboutie de la sophistication, donc la traduction d’un vrai effort, d’une vraie demande innovante. Apple (oui encore et toujours Apple !) n’a-t-elle pas construit sa légende et son succès sur cette idée toute simple de rendre l’informatique intuitive, présentée dans l’épure et accessible pour tous. La simplicité, donc, ne va pas de soi. Elle constitue un vrai défi pour toutes les organisations, mais surtout pour ceux qui les guident et doivent en animer la performance. Parce que oui, trop souvent, la complexité – par des codes, un langage propre, un jargon parfois risible – est une volonté de mise à distance des autres. Le syndrome du « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué » se conçoit comme un bouclier qui cherche à protéger ceux qui ne veulent pas ouvrir l’option collaborative et partagée. La volonté de faire simple devient, par nécessité, un prérequis qui transforme l’entreprise en mode « open », et donc expose ceux qui la dirigent à gommer certains étages hiérarchiques que beaucoup veulent préserver pour consolider leur avantage supposé à l’étage supérieur.

Au-delà de ce petit bug cultivé par nos travers humains – et qui finiront tôt ou tard par être des combats d’arrière-garde – le sujet prend une toute autre dimension quand la complexité relative autour d’un projet se double de situations paradoxales. Le fait est que les entreprises poursuivent en permanence plusieurs objectifs qui s’opposent à priori. En effet, il faut souvent répondre à de nombreuses injonctions contradictoires : comment se projeter à long terme et livrer ce qui compte aujourd’hui ? Comment jouer la carte d’une ambition globale et épouser les multiples réalités de marchés locaux ? Comment prendre des décisions tranchées entre incertitude sur l’avenir et confiance dans son modèle actuel ? Comment engager les équipes vers plus d’autonomie et cultiver le réflexe solidaire ? Comment enfin concilier en permanence le sérieux de ce qui se joue et le sourire qui rend l’enjeu plus léger ?

La marque des managers de demain s’évaluera donc à cette nouvelle aune : la faculté de concilier ces paradoxes, ces contraires, ces tensions, en solutions nouvelles, équilibrées, efficaces. Il s’agit tout autant de faire des choix, que de poser les termes d’une nouvelle balance. L’époque est à l’hybridation des réponses, des cultures, des contributions, pour faire naitre des solutions inédites, donc espérons-le plus impactantes. Pour faire simple, les paradoxes sont des révélateurs de notre capacité à penser positif et constructif. Et la quête de simplicité est son moteur le plus puissant. C’est l’anti ‘solution-toute-faite’ ; c’est ce qui nous invite à donner le meilleur de nous-mêmes, à explorer, à être curieux de tout. C’est la voie pour devenir un alchimiste éclairé. C’est s’obliger à penser différemment (merci Steve J).

Le paradoxe n’est pas un ennemi, c’est un cadeau pour l’esprit, pour continuer à stimuler le génie humain et ne jamais désespérer face aux situations les plus complexes et les plus inattendues. Aimons donc les paradoxes et ne cédons plus aux compromis qui ne grandissent ni les entreprises ni ceux qui les conduisent.

Patrice MATHIEU

Co-fondateur de l’agence Out of the Box

www.outofthebox.fr

 

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