L’INTELLIGENCE AUGMENTÉE : LA NOUVELLE IA

Le siècle de la data est en marche. Les maîtres des deux chiffres magiques – le 0 et le 1 – qui permettent de tout dire en langage «  codé  » ont pris le pouvoir. Le pouvoir de nous capter dès que nous touchons notre smartphone ou nous logons sur notre ordinateur. Le pouvoir de mieux nous connaître, pour mieux nous suivre, mais aussi, reconnaissons-le, mieux nous servir. Il suffit d’un contact et le virus sans symptôme s’installe en plein cœur de nos vies digitales. La data est devenue en quelques années le nouveau fuel d’une économie en recherche de second souffle. Elle offre des jobs, elle ouvre des perspectives, elle semble rendre tout possible. Et comme tout personnage qui s’est illustré pour sa contribution positive à l’Humanité, elle est reconnue, et désormais distinguée en accédant au statut d’Intelligence.

Place donc à l’IA, la déesse dernière-née de la planète Data, qui prend désormais toute la lumière comme le messie tout-puissant de l’ère moderne. Elle attire l’attention, attise toutes les envies et tous les fantasmes. Elle est magique, porteuse d’espoir. Elle donne le sentiment que l’Humain a brisé un plafond de verre qui défie l’impossible. L’Homme va pouvoir bientôt vivre mille ans ! Si, si, on nous a dit qu’il était même déjà né. Le progrès change de dimension. Fini les petites avancées qui nous font gagner un peu d’espérance de vie ou découvrir un nouveau confort pour améliorer son quotidien. Nous entrons dans l’ère du progrès accéléré, de découvertes toutes plus extraordinaires les unes que les autres, d’un spectacle qui va nous arracher des Waouh à répétition. Et donc, évidemment, tout le monde en parle. Les médias évidemment, mais aussi les Chefs d’Entreprise qui, pour habiter le futur, y vont tous de leur couplet sur l’Intelligence Artificielle, parce que ne pas en parler, c’est se mettre hors course. C’est le mot magique, celui qui nous accroche à la réalité supposée d’un Après qui aura supplanté le monde d’Avant…

Pour en faire quoi au final ? Car, soudain, une autre lecture s’invite dans la danse. Ce progrès en mode cyber-halluciné crée un vertige. Celui d’un progrès qui nous entraîne vers une sorte d’inconnu, où la perte de contrôle n’est jamais très loin ; en particulier quand on perd le fil avec une technologie conçue pour résoudre mais trop souvent déroutée pour dissoudre, détruire ou disqualifier. La science toute puissante impose son autorité, son coup d’avance, sa vision du monde en mode rationnel, calculé, incontestable. De fait, la science se veut exacte, c’est ce qui fonde sa raison d’être. Mais elle entretient derrière chaque étape de son développement une logique systématique, inénarrable ; elle affiche sa nécessité et se présente en modèle dominant. La libération prônée par Apple en 1984 avec le lancement du McIntosh nous revient en boomerang, comme un mauvais rêve où la prophétie de George Orwell retrouve des couleurs  ; celle d’un monde où l’Humain devient un paramètre secondaire, une variable d’ajustement qui se doit de suivre le chemin tracé par ce que la data a prévu et écrit d’avance. Quel doit donc être notre réponse face à cette intelligence qui n’a pas peur de dire qu’elle est artificielle et qui accepte son versant fabriqué, stéréotypé, factice ?

Le propos ici n’est pas de refuser ce que cette intelligence permet d’envisager, de comprendre, d’améliorer ; il s’agit plus de réinviter dans l’équation le facteur humain pour parfaire le dispositif. Savoir sortir de la statistique et des moyennes pour redonner force à l’individu, à la singularité. Savoir échapper à la prévision pour intégrer les imprévus. Savoir prendre ses distances avec le cartésien pour accueillir l’émotion.

Les nouvelles technologies sont magiques quand elles amplifient une expérience vécue, pour lui donner plus d’intensité et mieux servir son objet premier. BlaBlaCar a ainsi pensé son algorithme pour créer une nouvelle manière de se rencontrer en choisissant ce qui est utile (la destination) et le profil de celui qui vous y accompagne. L’ingénieux a prolongé l’ingénieur.

Depuis quelques années, et c’est une bonne nouvelle, la France s’est lancée dans la course globale pour jouer les premiers rôles dans la cour très prisée du gotha techno. Les forts en maths – et ils sont nombreux chez nous – se sont rués vers cet eldorado du futur en labourant le sillon de la Start-Up Nation. L’élevage français des futures licornes sera d’autant plus prolifique que la réflexion sur l’usage l’emportera sur la prouesse techno. En effet, l’intelligence artificielle n’est pas là pour remplacer, mais pour enrichir un schéma jusqu’ici limité. Elle libère les usages face à des contraintes existantes. Elle doit se mettre au service d’une intelligence qui acceptera toujours d’être augmentée. Cette nouvelle IA (Intelligence Augmentée) est la clé pour que la « chose data » ne soit pas un objet menaçant, mais un merveilleux outil de plus pour mieux consommer, pour mieux partager, pour mieux vivre.

Patrice MATHIEU Co-fondateur de l’agence Out of the Box

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