Nouvelle séquence de reconstruction, nouvelles résolutions. Ces derniers mois, la circonstance nous a invités à l’introspection, aux questions fondamentales, y compris celles qui font peur. La sidération a fait place à l’angoisse ; l’angoisse nous a rappelé l’humilité ; l’humilité nous a poussés vers une forme d’examen de conscience collectif qui repose la bonne question : qu’avons-nous fait pour en arriver là ? Il faut reconnaître que, très souvent, au-delà des polémiques qui adorent trouver un bouc émissaire et désigner un beau coupable (souvent l’Autre), on finit par établir un diagnostic autour duquel tout le monde s’accorde. Et, alors que les solutions tardent à prendre le relais de l’urgence, on envisage sérieusement la trop rare remise en question et les décisions qu’il va falloir – enfin – prendre. Notre sens de l’intérêt collectif, très discret quand il n’est soumis à aucune pression, reprend de l’allure et cette belle énergie qui ravive de nouveaux espoirs.
Et si nous changions vraiment ? Si nous faisions ce que nous disons nécessaire de faire depuis tant d’années ? Si nous laissions ce que nous avons – et que nous allons peut-être perdre – pour construire cet avenir que nous avons oublié de protéger pour ceux qui nous suivent ? La beauté de la transmission ne vient-elle pas de la faculté que nous avons à permettre aux générations qui nous suivent de vivre mieux que nous ? La belle intention crée soudain l’élan. Chacun y amène son idée. On se prend à rêver d’une vie plus belle… ça occupe intelligemment, le temps que l’orage passe. Et puis, la situation s’améliore, elle devient moins critique. On se concentre sur l’immédiat, puisqu’il faut réparer ce qui a été bousculé et parfois détruit. On reprend ses habitudes, ses réflexes. On oublie l’avenir pour se recaler dans les pas du présent. Le diagnostic largement partagé devient l’écho lointain de conversations de circonstances. On oublie l’essentiel. Ça attendra… encore une fois.
Pourtant. Pourtant, on sent bien que nous sommes de plus en plus nombreux à penser, sentir, voir et démontrer preuves à l’appui que ce n’est plus tenable. Pourtant, on observe, que notre élan pour le mieux est puissant, créatif, qu’il fait jaillir des idées et des projets partout autour de nous et partout dans le monde. Pourtant, quand on met les projecteurs sur ces projets, la magie opère. Nous sommes émerveillés par ces initiatives, sans grands moyens, qui veulent et parviennent à leur échelle à changer le quotidien, et parfois beaucoup plus. Ces empreintes sont multiples ; elles sont magnifiques ; elles nous font du bien… Et pourtant, le sentiment qui domine, c’est que leur impact est insuffisant. Il ne s’agit pas de les décourager, ni de prendre notre posture de commentateur pour saper leur utilité et mieux vivre ce que nous n’avons pas fait.
Non, la réalité, c’est que l’urgence ne promeut plus la théorie des petits ruisseaux. La course contre la montre entre ceux qui abîment et ceux qui réparent semble désormais bien déséquilibrée. Goliath est devenu le roi d’une légion de géants et autres cerbères qui ne donnent aucune chance à une armée de David libérateurs des temps modernes. La stratégie des petits cailloux a vécu et nous devons accepter que si les « gros » ne s’y mettent pas, la marche en avant ne changera pas la courbe. Viser Goliath à la tête, c’est entrer dans sa tête. C’est le convaincre que sans lui, sans ses cousins géants, rien ne changera. Responsabiliser les citoyens, les collaborateurs, nos enfants, c’est bien, c’est pratique. Mais la responsabilité est opérante quand tout le monde s’y met. S’enthousiasmer du courage, de l’inventivité et du culot des mondes associatifs, O.N.G-istes, et de chacun de nous qui fait un effort est devenu sympathique et naïf. Nous avons besoin des « Big Numbers » ; nous avons besoin de ceux qui ont les moyens pour changer la trajectoire, pour casser la logique. Les bonnes actions des « gros » ne peuvent se réduire à des instruments de communication. L’exemplarité ne peut plus se contenter de faire façade.
Donner l’exemple, c’est le rendre visible, c’est le faire savoir, c’est faire en sorte qu’il soit suivi. C’est bien celui qu’on regarde qui doit donner l’exemple. C’est aux grands de donner l’exemple, pas le contraire. Prendre ses responsabilités, ce n’est pas déléguer aux autres. Finalement, quand on y pense, la contestation n’est que le résultat d’une réalité contestable. Si ce que nous faisons au final est contestable, c’est que nous le faisons de travers. Nous sentons bien que nous vivons de travers, que nous gérons de travers, que nous pensons de travers. Ce monde est un tout et tourne de travers.
Une vision globale reste la seule et belle idée qui tienne. Depuis quelques années, on parle d’un nouveau monde qui remplacerait l’ancien monde ; et jamais les décisions qui ont été prises par de grands gouvernements n’ont été aussi connotées « ancien monde ». Ce nouveau monde ne gagnera son statut et sa crédibilité que s’il produit son propre « dégagisme ». Dégager le chacun pour soi, dégager la peur de l’autre, dégager la gestion de la dernière urgence. L’Histoire s’écrit toujours sur le long terme. Ceux qui sont exemplaires laissent des traces qui se déchiffrent longtemps. Être exemplaire, ce n’est pas plaire, c’est accomplir, c’est faire réfléchir, c’est créer un mouvement que chacun a envie de suivre.
Patrice MATHIEU Co-fondateur de l’agence Out of the Box